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Pierre de Ronsard. 57

De quelle forte haleine et de quel ton de vers, Varie d’arguments et d’accidents divers. J’ai suivi leur patron : a genoux, Franciade ; Adore l'Énéide, adore l'lliade : Révère les portraits et les suis d’aussi loin Qu’ils m’ont passé d’esprit, d’artifice et de soin. Miracle non étrange a celui qui contemple Ces deux grands demi-dieux, dignes chacun d’un temple, L’un Romain, l’autre Grec, à qui les cieux amis Et les Muses avaient tout dit et tout permis, 10 Et non a moi Français, dont la langue peu riche, Couverte de halliers, tous les jours se défriche, Sans mots, sans ornements, sans honneur et sans prix, Comme un champ qui fait peur aux plus gentils esprits Des laboureurs actifs a nourrir leurs ménages, Qui tournent les guérets pleins de ronces sauvages Et d’herbes aux longs pieds, retardement des bœufs, À faute d’artisans qui n’ont point devant eux Défriché ni viré la campagne férue, Qui maintenant revêche arrête leur charrue, 20 Luttant centre le soc d’herbes environné. Mais quoi, prenons en gré ce qui nous est donné, Achevons notre tâche, et croyons d’assurance Que ces deux étrangers pourront loger en France, Si la Parque me rit, réchauffant la froideur Des hommes bien adroits a suivre mon ardeur, Sans craindre des causeurs les langues venimeuses, Pourvu que nous rendions nos provinces fameuses, Non d’armes, mais d’écrits : car nous ne sommes pas De nature inclinés à suivre les combats, 30 Mais le bal des neuf Sœurs, dont la verve nous baille Plus d’ardeur qu’aux soldats de vaincre a la bataille.

Ils ne sont ulcérés sinon par le dehors, Aux jambes et aux bras, et sur la peau du corps : Nous au fond de l’esprit et au profond de l’âme, Tant l’aiguillon d’honneur vivement nous entame.