Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/106

Cette page n’a pas encore été corrigée

et, laissant Couaën dans son anxiété que je partageais, je me hâtai, battu de présages et sous la plus nébuleuse des nuits vers mes propres douleurs.

Vous avez quelquefois mon ami, traversé les crises inévitables ; vous avez perdu quelque être cher, vous avez fermé les yeux de quelqu'un. La nuit, par les chemins ainsi que moi, vous vous êtes hâté, dans quelque froide angoisse, ne sachant si le mourant ne serait pas déjà mort à votre arrivée, ralentissant le trot tout d'un coup quand vous approchiez des fenêtres et que vous touchiez au pavé des rues et de la cour, la peur d'éveiller le moribond chéri, reposant peut-être en ce moment d'un sommeil léger et salutaire, ou de vous heurter peut-être à son sommeil éternel. Vous avez assisté, je suppose, à quelque affliction de mère qui ne veut pas être consolée ; vous avez serré dans une étreinte muette la main d'un père altier et sensible qui a enseveli son unique enfant mâle. Le hasard ou la pitié vous a certes conduit dans quelque galetas hideux de la misère, vous y avez vu sur la paille des accouchées amaigries des nourrissons criant la faim ou aussi deux vieillards paralytiques époux, l'un qui parle encore ne pouvant marcher, l'autre qui se traîne encore ne pouvant se faire entendre ; vous avez respiré cette sueur des membres du pauvre, plus vivifiante ici-bas à qui va l'essuyer, que l'encens que brûlent les anges, et vous êtes sorti de là prêt à confesser la Croix et la charité. - A minuit, secoué en sursaut, au milieu d'un rêve, par des cris lugubres vous avez vu peut-être votre chambre rougie des reflets de l'incendie, et vous couvrant à peine de vêtements la langue épaisse de salive, la lèvre noire et desséchée, vous avez couru droit à votre vieille mère étonnée pour l'emporter hors du péril, vous l'avez déposée en lieu sûr, et, revenu seul alors vous avez, sans espoir de secours, calculé les progrès du désastre, le temps que ce pan de mur mettrait à