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Coucy. On trouve encore aujourd’hui en les lisant de quoi s’y complaire à travers les obscurités, ainsi qu’aux Lais gracieux de Marie de France. Les Fables de celle-ci touchent déjà au genre satirique, le plus riche sans contredit d’alors. Les fabliaux forment pour nous un butin piquant ; ils viennent assez bien, quant à l’esprit et au jeu qui les anime, aboutir et s’enchaîner dans la trame du Roman de Renart, qui en représente comme l’Odyssée. Par malheur, le genre allégorique l’emporta, et le Roman de la Rose, plus récent, eut tous les honneurs. Cette production célèbre, commencée par Guillaume de Lorris, mais surtout continuée et couronnée par Jean de Meung, qui en agrandit le cadre et en modifia le caractère [1], demeura jusqu’au milieu du xvie siècle, c’est-à-dire jusqu’à la réforme classique de Ronsard, l’épopée en vogue et la source banale où chaque rimeur allait puiser ; durant cette longue période, elle exerça sur notre poésie l’autorité suprême d’une Iliade ou d’une Divina Commedia. Ce singulier poëme national, si souvent imité dans sa forme et dans sa mythologie, n’était-il lui-même qu’une imitation ? L’idée de l’amant qui s’endort, a une vision, puis se réveille à l’instant où la vision finit, était-elle empruntée simplement au Songe de Scipion conservé par Macrobe, ainsi que l’auteur en fait parade en commençant ; ou déjà, plus probablement, n’était-elle qu’un lieu commun en circulation ; et les chantres provençaux, les premiers,

  1. M. Ampère, le premier, a très-bien établi et discuté ce double caractère (Revue des Deux Mondes, 15 août 1843).