Page:Sainte-Beuve - Tableau de la poésie française au XVIe siècle, éd. Troubat, t1.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La langue véritablement française prit naissance. Dès le xiie et le xiiie siècle on aperçoit les premiers essais littéraires et poétiques qui appartiennent à cette langue au berceau ; une double génération, et même très-nombreuse, de poëtes et de rimeurs se dessine déjà, les Anglo-Normands et les Français proprement dits : à la tête des premiers, Robert Wace ; parmi les seconds, Chrestien de Troyes. Le Brut de Wace ouvre la série des romans de la Table-Ronde, que prolongent et varient avec intérêt les Tristan et les Lancelot ; parmi ceux du cycle de Charlemagne, on nommera, comme mieux sonnante, la Chanson de Roland. Ogier le Danois, Regnauld de Montauban, les Quatre fils Aymon, vêtus de bleu, et tant d’autres, chevauchent dans les mêmes traces. Il se rédigeait de plus toutes sortes de romans en vers, tels que Godefroi de Bouillon et le poëme souvent cité d’Alexandre : c’étaient de longs récits platement rimes. La prose, par Villehardouin et Joinville, arrivait plus légitimement, et comme de plain pied, à la prédominance naturelle qu’elle n’a plus guère perdue depuis. Les érudits qui se sont occupés des productions de ces temps difficiles croient remarquer qu’il y eut, littérairement parlant, quelque chose comme un siècle de Philippe Auguste et de saint Louis, ou du moins que, vers la première partie du xiiie siècle, la romane française avait acquis un commencement de perfection qu’on ne retrouve plus aux abords du xvie. Le genre lyrique rendit, dès l’origine, d’assez doux et légers accords sur la guitare de Thibaut de Champagne, de Quènes de Béthune et du Châtelain de