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ratures sorties du moyen âge, et la nôtre en particulier, d’avec celles de l’antiquité. Ce n’est pas en Grèce assurément que la poésie au berceau eût tenu ce langage. Sous un climat heureux, parmi un peuple enfant, elle commença par avoir elle-même la superstition sacrée et la candeur de l’enfance ; elle crut longtemps à l’âge d’or ; toujours elle crut aux charmes d’un beau ciel, aux délices d’une belle nature. Chez nous, au contraire, voilà Villon qui mène tout d’abord les Muses au cabaret et presque à la potence [1] ; le voilà qui les désenchante en naissant de leurs chères illusions, les endoctrine de sa morale commode, et les façonne à des manières tant soit peu lestes, qu’elles ne perdront plus dé-

  1. Si l’on remonte encore plus haut que Villon, on trouve la remarque de plus en plus confirmée. Jean de Meung, dans sa continuation du Roman de la Rose, dit ces mots ou à peu près : Toutes vous autres femmes êtes ou fûtes, de fait ou volonté, p...... « De quoi, raconte Brantôme, il encourut une telle inimitié des dames de la cour, qu’elles, par une conjuration, et de l’avis de la reine, entreprirent un jour de le fouetter, et elles le dépouillèrent tout nu, et étant prêtes à donner leurs coups, il les pria qu’au moins celle qui étoit la plus grande p..... de toutes commençât la première. Chacune, de honte, n’osa commencer, et par ainsi il évita le fouet. J’en ai vu l’histoire représentée dans une vieille tapisserie des vieux meubles du Louvre. » (Brantôme, Dames galantes) Le Roman de la Rose, dans sa seconde partie, est tout plein de ces railleries graveleuses. La Bible Guyot, composée par un moine, Hugues de Bercy (ou Bersil), est une satire scandaleuse du temps.