esprits de cette trempe ne croiraient-ils pas s’y rabaisser ? Quoi qu’il en soit, une honnête mesure d’exactitude et de finesse suffirait à l’œuvre. En ce qui est du xvie siècle, on ne saurait se flatter, dans une telle Anthologie, d’édifier un Temple du Goût, mais on y figurerait très-bien un Temple de la Grâce. Chaque auteur y entrerait, selon son rang, avec un bagage très-allégé. Pour le choix du bagage, on devrait être rigoureux, mais avec tact, et ne pas imiter ce compilateur[1] qui, en introduisant Rémi Belleau, n’eut d’autre soin que d’omettre la pièce d’Avril, précisément la perle du vieux poëte ; il y a des faiseurs de bouquets qui ont la main heureuse ! Dans un tel Temple de la Grâce, Marot présiderait le groupe entier de ses contemporains pour le règne de François Ier ; Louise Labé, à côté de lui, tiendrait la guirlande, au-dessus même de Marguerite. Bonaventure des Periers n’y entrerait qu’avec une seule pièce, Gohorry, avec une seule stance[2] ; le bon jurisconsulte Forcadel, un peu étonné, s’y verrait admis pour avoir une seule fois, je ne sais comment, réussi dans un dialogue rustique amoureux, traduit de Théocrite. François Ier y serait comme roi, pour l’esprit vivifiant qu’il répandit autour de lui, pour les sourires et les rayons qu’il prodigua avec grâce ; mais, en fait de vers de sa façon, il n’en aurait guère présents qu’une vingtaine au plus, ce qu’il en pourrait écrire en se jouant sur une vitre, comme il fit une fois à Chambord.
Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/92
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Mai 1847.