Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombre des témoignages de dévouement que Marguerite prodigua à son frère durant sa captivité. Cette lettre n’offre rien d’ailleurs de plus expressif que ce qu’on lit en maint endroit du présent Recueil :

Ô quelle amour ! et qui jamais l’eust creue !
Qui en absence est augmentée et creue ;
Là où jamais changement n’ay trouvé ;
Tel vous ay creu, tel vous ay éprouvé[1] !

Dans un voyage qu’elle faisait en litière durant la semaine sainte de 1547, accourant en toute hâte auprès de son frère malade, Marguerite accusait la lenteur du transport, et, dans une chanson composée le long du chemin, elle s’écriait d’un bond de cœur impétueux :

Avancés-vous, hommes, chevaulx,
Asseurés-moi, je vous supplye,
Que nostre Roy, pour ses grands maulx,
A receu santé accomplie :
Lors seray de joye remplye.
Las ! Seigneur Dieu, esveillés-vous,
Et vostre œil sa doulceur desplye,
Saulvant vostre Christ et nous tous[2] !

De telles expressions de mysticité se mêlent perpétuellement à la profession de sa tendresse pour son frère. Il faut y faire la part du goût, et puis reconnaître aussi que, pour Marguerite, c’était une dévotion réellement que l’affection fraternelle. Comme mouvement bien sincère de piété non moins que de poésie, je signalerai un très-bel et très-vif élan de prière à Dieu, père de Christ (page 181) ; le jet de l’oraison s’y soutient d’un bout à l’autre ; c’est un curieux exemple de verve puritaine à cette époque.

Après cela, si l’on s’étonnait, si l’on souriait encore de voir cette Marguerite si fort en contraste avec la première

  1. Page 185.
  2. Page 58.