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L’ung s’offre et va courant, l’aultre mentant refuse :
Voyez la pauvre femme en son esprit confuse.

L’épitaphe d’Agnès Sorel est connue ; rien n’empêche de croire à cette improvisation de cinq vers, et de nouveaux témoignages recueillis par M. Vallet de Viriville doivent, nous dit-on, en confirmer l’authenticité. Mais M. Champollion a conjecturé judicieusement, selon moi, que la pièce en tercets : Doulce, plaisante, heureuse et agréable nuict (page 150), est trop compliquée pour être du monarque. J’ajouterai, comme raison à l’appui, que cette espèce de chanson est traduite de l’Arioste[1], et elle l’a été depuis encore par d’autres poëtes du xvie siècle, par Olivier de Magny et Gilles Durant. Le chanteur remercie la nuit d’avoir favorisé son entreprise amoureuse, et il part de là pour dénombrer et décrire avec complaisance chaque détail de son aventure. Mellin de Saint-Gelais, qui le premier a donné en français d’autres imitations en vers de l’Arioste, a dû tremper dans celle-ci. Un tel travail de traduction suppose en effet une application littéraire qui tient au métier. Un roi peut rimer et fredonner ses propres saillies, mais il ne s’amuse guère à traduire celles des autres[2].

Et on me permettra d’indiquer ici une observation qui

  1. Voir dans les Rime de l’Arioste le capitole :

    O piu che’l giorno a me lucida e chiara,
    Dolce, gioconda, avventurosa notte, etc.

  2. Le manuscrit de M. Cigongne contient aux dernières pages une pièce qui rappelle un peu, pour le motif, la chanson de l’Arioste, mais qui va fort au delà ; elle trouverait sa vraie place dans un Parnasse satyrique. Si cette espèce de blason du corps féminin était de François Ier, on devrait lui reconnaître une vigueur et une haleine dont il n’a fait preuve nulle part ailleurs ; mais tout y décèle une verve exercée qui se sera mise au service de ses plaisirs. – Cette pièce, au reste, n’est pas inédite ; elle a été insérée dans le Recueil des Blasons par Méon (Blason du corps) ; mais, sauf une ou deux corrections qui sont heureuses, le texte de Méon est peu correct, et même à la fin il y a de l’inintelligible.