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être l’original. Ce manuscrit commence tout simplement par une lettre en prose que le roi prisonnier écrit à une maîtresse dont on ignore le nom :

« Ayant perdu, dit-il, l’occasion de plaisante escripture et acquis l’oubliance de tout contentement, n’est demeuré riens vivant en ma mémoire, que la souvenance de vostre heureuse bonne grace, qui en moy a la seulle puissance de tenir vif le reste de mon ingrate fortune. Et pour ce que l’occasion, le lieu, le temps et commodité me sont rudes par triste prison, vous plaira excuser le fruict qu’a meury mon esperit en ce pénible lieu… »

Cette lettre, avec la pièce de vers qui l’accompagne, se trouve aux pages 42 et 43 de la présente édition ; mais, en la lisant au début, on comprend mieux comment François Ier devint décidément poëte ou rimeur, et comment l’ennui l’amena à développer sinon un talent, du moins une facilité qu’il n’avait guère eu le loisir d’exercer jusqu’alors. Il redit la même chose dans la longue épître où il raconte son parlement de France et sa prise devant Pavie :

Car tu sçaiz bien qu’en grande adversité
Le recorder donne commodité
D’aulcun repoz, comptant à ses amys
Le desplaisir en quoy l’on est soubmys.

On ne lui reprochera point d’ailleurs de surfaire le mérite de son œuvre ; dans cette même épître, il commence en parlant bien modestement de son escript et de cette idée qu’il a eue de

Cuider coucher en finy vers et mectre
Ung infiny vouloir soubz maulvais mettre.

L’aveu modeste n’est ici que l’expression d’une rigoureuse vérité : il serait difficile, en effet, de coucher ses pensées en plus mauvais mètre. L’épître se peut dire une gazette en vers de la force de tant de chroniques rimées qui avaient