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et Mesdames. Il lui conseillait aussi de s’appliquer à ne faire appeler que tard ceux qui avaient droit d’entrer chez le roi et d’obtenir de lui qu’il les fit sortir de bonne heure. Il voulait qu’il ne fût livré qu’à elle et à ceux qu’elle y introduirait. Le roi, comme je l’ai dit, avait déjà fait acte de soumission en disant à ses enfants de ne pas revenir sans qu’il les envoyât chercher. Il l’avait fait encore en n’appelant ses grands-officiers à Trianon qu’à quatre heures, et en les congédiant à neuf heures et demie ; et voilà vraisemblablement ce qui se serait passé pendant le cours de la maladie du roi, si elle se fût prolongée sans devenir plus grave.

Je quittai donc Lemonnier, après en avoir appris l’état du roi, et après avoir su que lui-même en était exclu par Mme Dubarry, qui y était actuellement renfermée seule, ou avec M. d’Aiguillon. Cependant la fièvre se soutint dans la nuit avec assez de force, il y eut même de l’augmentation ; les douleurs de tête devinrent plus fortes, et nous apprîmes à huit heures du matin qu’on allait saigner le roi. Cette saignée avait été ordonnée par Lemonnier, d’accord avec La Martinière. Nous apprîmes aussi qu’on avait été chercher à Paris Lorry et Borden. Lemonnier, suivant son projet de la veille, avait demandé au roi du secours, et l’avait prié de choisir ceux des médecins qu’il désirait appeler en consultation. Il a dit n’en avoir proposé aucun, et cela est vrai ; le roi les avait choisis l’un et l’autre, toujours d’après Mme Dubarry. L’un était son médecin, l’autre l’était de M. d’Aiguillon ; et celui-ci avait engagé la maîtresse à déterminer le roi à ce choix, espérant se servir d’eux, suivant ses besoins, dans le cours de la maladie. Lassonne fut aussi appelé ; mais comme il était médecin de Mme la Dauphine, il le fut purement du choix de Lemonnier. La nouvelle de la saignée fit arriver tous les courtisans ; ceux qui avaient des charges, ceux qui n’en avaient pas, tout accourut, et le cabinet se trouva bientôt rempli de gens qui désiraient savoir des nouvelles du roi et n’avaient aucun moyen de s’en procurer. Il ne sortait encore presque personne de la chambre, et ceux qui en sortaient ne parlaient pas ; on ne disait rien. Cependant, la saignée du roi faite, la fièvre subsistante, les médecins appelés, tout cela annonçait que l’on craignait une maladie, et donnait un grand champ aux spéculations de toute la Cour. Mme Dubarry persistait à