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MORT DE M. VINET[1]


Le canton de Vaud et la Suisse française viennent de perdre leur écrivain le plus distingué, l’un de ceux qui faisaient le plus d’honneur à notre littérature. M. Alexandre Vinet est mort le 4 mai (1847) à Clarens ; il n’avait guère que cinquante ans. Profondément estimé en France de tous ceux qui avaient lu quelques-uns de ses morceaux de morale et de critique dans lesquels une pensée si forte et si fine se revêtait d’un style ingénieux et savant, il laisse un vide bien plus grand que la place même qu’il occupait, et il serait impossible de donner idée de la nature d’une telle perte à quiconque ne l’a pas vu au sein de ce monde un peu extérieur à la France, mais si étendu et si vivant, dont il était l’une des lumières. En Allemagne, en Angleterre, en Écosse, M. Vinet était connu, consulté ; le protestantisme dans ses différentes formes, et à proportion que la forme y offusquait moins l’esprit, le vénérait comme un des maîtres et des directeurs les plus consommés dans la science et dans la pratique évangéliques. Ce n’était pourtant pas un théologien que M. Vinet. Il n’avait rien de ce que ce titre fait d’abord supposer, rien surtout de dogmatique ; et c’est en moraliste principalement, c’est par les voies pratiques du cœur qu’il avait approfondi la foi. Le plus modeste, le plus humble des hommes, il offrait en lui cette union si rare d’une expérience clairvoyante et précise, et

  1. Cet article et le suivant doivent se joindre à celui que j’ai précédemment consacré à M. Vinet, et qui se trouve au tome II des Portraits contemporains.