Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier horizon que la tournée du xviiie siècle ; mais il la fit tout d’abord complète, avec largeur, avec précision, avec cette aisance supérieure qui présage les destinées. Ne faisant remonter la philosophie, comme science, que jusqu’à Descartes, le jeune professeur la voyait s’égarant presque aussitôt et ressaisissant seulement la vraie méthode au commencement du dernier siècle, mais avec des préventions exclusives dans les différentes écoles qui s’étaient alors partagé l’Angleterre, la France et l’Allemagne : « Le temps, disait-il, qui recueille, féconde, agrandit les moindres germes de vérité déposés dans les plus humbles analyses, frappe sans pitié, engloutit les hypothèses, même celles du génie. Il fait un pas, et les systèmes arbitraires sont renversés ; les statues de leurs auteurs restent seules debout sur leurs ruines. La tâche de l’ami de la vérité est de rechercher les débris utiles qui en subsistent et peuvent servir à de nouvelles et plus solides constructions. » Après avoir essayé cette méthode, un peu timidement encore, sur les principaux successeurs de Descartes, M. Cousin commença de l’appliquer dans toute son étendue aux trois grandes écoles du xviiie siècle, aux Écossais, à Condillac, à Kant. Telles qu’on les peut lire aujourd’hui, sous cette forme de révision sévère, la suite de leçons où figurent successivement tant de noms célèbres dans l’ordre philosophique ou moral, Helvétius, Saint-Lambert, Hutcheson, Smith, est d’un aimable autant que sérieux intérêt. M. Cousin a pris soin de compléter et d’orner, avec sa curiosité littéraire actuelle, ses vues fidèlement reproduites d’alors : des biographies neuves donnent la main aux analyses ; il en résulte pour des parties entières de ce Cours (je demande pardon du terme de l’éloge) un ensemble tout à fait charmant. Chacun a pu lire d’ailleurs, soit dans la Revue des Deux Mondes, soit dans le Journal des Débats, de grands extraits pleins d’élévation et d’éloquence sur Dieu, sur le mysticisme, sur le beau. En récrivant de la sorte ces morceaux