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donner une belle histoire revêtue de tous les agréments de la diction. » Puis, le comparant à Voltaire qui est en train de composer son siècle de Louis XIV, et qu’il nous représente comme un jeune homme maigre, qui parait attaqué de consomption, l’honnête Jordan souhaite à l’un plus de santé et à l’autre plus d’aisance. La correspondance de Voltaire nous montre en effet que Prevost, dans un de ces moments de gêne auxquels il était si sujet (juin 1740), prit sur lui de recourir à l’opulent poète, non sans lui faire, comme critique, des offres de service en retour.

Au tome VI du Pour et Contre (1735), parlant du Voyage de Jordan qui venait de paraître, Prevost touche quelques mots de l’accusation, à la fois vague et grave, dont il s’y voit l’objet ; mais, soit qu’il se sente la conscience moins nette, soit que les compliments mêlés à ce mauvais propos l’aient amolli, il répond moins vivement qu’il n’avait fait, l’année précédente, à Lenglet-Dufresnoy : « Je me suis attendu, depuis mon retour en France, dit-il, à ces galanteries de MM. les protestants, et je ne suis pas fâché d’avoir occasion de m’expliquer sur la seule manière dont je veux y répondre. S’ils prétendent décrier mon caractère, je défie la calomnie la plus envenimée de faire impression sur les personnes de bon sens dont j’ai l’honneur d’être connu. S’ils en veulent à mes foiblesses, je leur passe condamnation, et ils me trouveront toujours prêt à renouveler l’aveu que j’ai déjà fait au public. Qu’ils les déguisent après cela sous toutes sortes de formes, je leur aurai beaucoup d’obligation s’ils peuvent contribuer à augmenter mon repentir. » On ne peut certes rien de plus humble et de plus fait pour désarmer ; cette action criminelle commise à Londres, et qui n’empêchait pas le coupable d’y séjourner, était, je l’espère, quelque délit amoureux, un de ces crimes qui, après tout, laissent subsister l’honnête homme[1].

  1. J’indique, un peu à regret, pour ceux qui veulent tout savoir,