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s’en retourner vivre à son petit couvent de Saint-Louis à Rouen,  où elle avait passé ses seules années de bonheur. Elle y fît un petit voyage, mais s’en revint au plus vite. Les femmes du xviie siècle, après les orages du monde, retournent volontiers au couvent et y meurent ;  les femmes du xviiie ne le peuvent plus.

Après les lettres à Mme  du Deffand, celles de Mme  de Staal à M. d’Héricourt, moins traversées de saillies, donnent une idée peut-être plus triste encore et plus vraie de sa manière finale d’exister. Sa santé diminue, sa vue baisse, et pour peu qu’elle vive, elle est en train de devenir tout à fait aveugle comme son amie Mme  du Deffand. Cependant les sujétions, les dégoûts auprès d’une princesse dont les caprices ne s’embellissent pas en vieillissant, rendent insupportable un lien qu’on ne parvient point à briser ;  il faut traîner jusqu’au bout sa chaîne. Je vois les maux, dit-elle, et je ne les sens plus. C’est là son dernier oreiller. A un retour de printemps, il lui échappe ce mot terrible :   « Quant à moi, je ne m’en soucie plus (de printemps !) ; je suis si lasse de voir des fleurs et d’en entendre parler, que j’attends avec impatience la neige et les frimas. » Il n’y a plus rien après une telle parole.

Elle avait soixante-six ans, lorsqu’elle mourut le 15 juin 1750. A peine la duchesse du Maine fut-elle morte a son tour, qu’on se disposa à publier les Mémoires :  ils parurent en 1755 ; on n’attendit même pas que le baron de Staal eût disparu. On n’y regardait pas de si près en ce temps-là, quand il s’agissait de s’assurer les plaisirs de l’esprit. Le livre obtint aussitôt un prodigieux succès. Fontenelle pourtant, qui vivait encore, fut très-surpris en le lisant :   « J’en suis fâché pour elle, dit-il ;  je ne la soupçonnois pas de cette petitesse. Cela est écrit avec une élégance agréable, mais cela ne valoit guère la peine d’être écrit. » Trublet lui répondait que toutes les femmes étaient de cet avis, mais que tous les hommes n’en étaient pas. Trublet