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ment vérifié par l’expérience. À ce livre de La Bruyère, qui semble avoir donné son cachet à leur esprit, ajoutez encore, si vous voulez, qu’elles ont lu dans leur jeunesse la Pluralité des Mondes et la Recherche de la Vérité.

Mme  de Staal commence donc le xviie siècle, dans la série des écrivains-femmes, aussi nettement que Fontenelle l’a fait dans son genre. Elle était née bien plus tôt qu’on ne croit et que ne l’ont dit tous les biographes. Un érudit à qui l’on doit tant de rectifications de cette sorte, M. Ravenel, a éclairci ce point, qui ne laisse pas d’être important dans l’appréciation de la vie de Mlle  Delaunay. Je l’appelle Mlle  Delaunay par habitude, car (autre rectification de M. Ravenel)[1] elle ne se nommait pas ainsi : son père s’appelait Cordier ; mais, ayant été obligé de s’expatrier pour quelque cause qu’on ne dit pas, il laissa en France sa femme jeune et belle qui reprit son nom de famille (Delaunay), et la fille, à son tour, prit le nom de sa mère qui lui est resté. La jeune Cordier-Delaunay naquit à Paris le 30 août 1684, et non pas en 1693, comme on l’a cru généralement. Elle se trouvait ainsi de neuf ans plus âgée qu’on ne l’a supposé ; non pas qu’elle ait dissimulé son âge ; elle n’indique point, il est vrai, dans ses Mémoires, la date précise de sa naissance (les dates, sous la plume des femmes, c’est toujours peu élégant) ; mais elle mentionne successivement dans le récit de sa jeunesse certaines circonstances historiques qui pouvaient mettre sur la voie. Il résulte de ces neuf années de plus qu’elle a sans les paraître, que le temps qu’elle passe au couvent et avant son entrée à la petite cour de Sceaux remplit toute la durée de sa première jeunesse ; qu’elle a vingt-sept ans bien sonnés lorsqu’elle entre chez la duchesse du Maine, et qu’elle est déjà une personne faite qui pourra souffrir de sa condition nouvelle, mais qui n’y prendra aucun pli que celui de la contrainte. Il suit aussi de cette

  1. Journal de la Librairie, 1836, feuilleton n° 35, p age 3.