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phlet, M. Bernard ne chercha pas moins querelle à notre ami, qui n’était coupable que d’avoir suivi, dans le partage des rôles, les données constamment transmises, et de s’y être joué, comme on fait en lieu sûr, avec quelque complaisance. – Mais qui nous prouve que Pithou a réellement écrit la harangue de d’Aubray, que Passerat et Nicolas Rapin ont fait les vers, que Florent Chrestien…? Oh ! pour le coup, il y a le témoignage universel, la tradition consacrée. Que si M. Auguste Bernard exige absolument qu’on lui produise, après plus de deux siècles, un acte notarié et un procès-verbal authentique en faveur de ces noms, il peut se flatter d’avoir gain de cause ; mais, faute de ce certificat, auprès de tous ceux qui entendent le mot pour rire, et qui savent encore saisir au vol la voix de la Renommée, cette chose jadis réputée divine et légère, la gloire de Pithou, de Rapin et de Passerat, n’y perdra rien.

C’est assez insister sur ce principal épisode de la vie littéraire de notre ami. Ainsi Charles Labitte trouvait moyen vers le même temps de faire excursion jusque par delà les sources mystiques de Dante, et de se rabattre en pleine Beauce, au cœur de nos glèbes gauloises. Pourtant cette vie de Rennes, loin de Paris, et malgré tous les dédommagements des amitiés qu’il s’était formées, coûtait à ses goûts ; il ne tarda pas à désirer de nous revenir. Je trouve dans une lettre de lui, datée des derniers temps de son séjour à Rennes (fin de février 1842) et adressée à ce même ami d’enfance, M. Jules Macqueron, un touchant tableau de sa disposition intérieure. On en aimera la sincérité parfaite du ton, rien d’exagéré, une tristesse tempérée, si j’ose dire, de bonne humeur et de résignation : à vingt-six ans, cette tristesse-là compte plus que bien des violents désespoirs à vingt. On n’y sera pas moins frappé des nobles croyances qui subsistaient debout en lui, même en ses jours d’abattement :

« Quelques indulgentes et illustres amitiés qui me restent fidèles,