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Hénault : « Peut-être la Satyre Ménippée ne fut guère moins utile à Henri IV que la bataille d’Ivry ; le ridicule a plus de force qu’on ne croit. »

Je résume les objections que M. Auguste Bernard opposait à Charles Labitte. Sans entrer ici dans une discussion de dates qui avait déjà été très-bien éclaircie par Vigneul-Marville, et que semblent avoir réglée définitivement MM. Leber et Brunet, on peut répondre sans hésiter : Non, les hommes de la Satyre Ménippée n’étaient point des hommes du lendemain[1], et cette œuvre de leur part ne fut point une attaque tardive, ni le coup de pied à ce qui était à terre. Et d’abord il paraît constant, nonobstant chicanes, que le premier petit écrit dont se compose cette Satyre farcie (l’écrit intitulé la Vertu du Catholicon) fut imprimé réellement en 1593, avant la chute de la Ligue ; il n’est pas moins certain, pour peu qu’on veuille réfléchir, que tous ces quatrains railleurs, ces plaisantes rimes, épîtres et complaintes, que la Ménippée porte avec elle, coururent imprimées ou manuscrites, et durent être placardées, colportées au temps même des événements qui y sont tournés en ridicule. La Satyre Ménippée ne fit que ramasser et enchâsser ces petites pièces qui étaient en circulation ; elle rallia en un gros ces troupes légères qui avaient donné séparément.

Il y a plus : je me suis amusé à parcourir les historiens contemporains et auteurs de mémoires, de Thou, d’Aubigné, Cheverny, Le Grain[2] ; tous, au moment où ils parlent de la

  1. Voir ce qui est dit dans la Satyre même, ou du moins dans le Discours de l’imprimeur, contre les gens du lendemain : « J’en vois d’autres qui n’ont bougé de leurs maisons et de leurs aises, à déchirer le nom du roy et des princes du sang de France tant qu’ils ont pu, et qui, ne pouvant plus résister à la nécessité qui les pressoit, pour avoir eu deux ou trois jours devant la réduction de leur ville quelque bon soupir et sentiment de mieux faire, sont aujourd’hui néanmoins ceux qui parlent plus haut, etc., etc. »
  2. Voir de Thou, Histoire, livre CV, année 1593 ; – d’Aubigné, Histoire universelle, tome III, livre III, chapitre 13 ; – Cheverny, Mémoires d’État, à l’année 1593 ; – Le Grain, Décade, même année.