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gère dont tu te couvres !… Ô belle aux yeux charmants, toute de pierre ! Ô Nymphe aux bruns sourcils, ouvre tes bras à moi le chevrier, pour que je te donne un baiser : même en de vains baisers il est bien de la douceur encore.

L’idylle des Moissonneurs, où le plus vaillant raille son camarade amoureux, qui, hors de combat dès la première heure, ne coupe plus en mesure avec son voisin et ne dévore plus le sillon, nous donne une bien jolie chanson de ce dernier, et dont chaque trait se sent de la nature du personnage. En voici un calque aussi léger que je l’ai pu saisir ; ce n’est que par de tels échantillons fidèlement offerts qu’on parvient à faire pénétrer dans les replis du talent. Le pauvre moissonneur s’est donc pris de soudaine passion pour une joueuse de flûte, un peu bohémienne, à ce qu’il semble ; et, comme lui-même il a été de tout temps assez poëte, il nous la dépeint ainsi :

« Muses de Piérie, chantez avec moi la jeune élancée ; car vous rendez beau tout ce que vous touchez, ô Déesses !

« Gracieuse Vomvyca, ils t’appellent tous Syrienne, maigre et brûlée du soleil ; moi seul je te trouve la couleur du miel. Et la violette aussi est noire, et la fleur d’hyacinthe est gravée ; mais tout de même elles sont comptées les premières dans les couronnes. La chèvre poursuit le cytise, le loup la chèvre, et la grue suit la charrue ; et moi je ne me sens de folie que pour toi. Que n’ai-je en mon pouvoir tout ce qu’on dit qu’a jadis possédé Crésus ! tous les deux en or pur nous figurerions debout, consacrés dans le temple de Vénus, toi tenant la flûte à la main, ou une rose, ou une pomme, et moi en costume d’honneur et avec des brodequins de Sparte aux deux pieds. Gracieuse Vomvyca, tes pieds à toi sont d’ivoire, ta voix est de lin ; et quant à ta manière, je ne la puis rendre. »

On trouverait de ces traits de grâce amoureuse dans pres-