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répondent aussi, et le tout fait une réunion délicieuse, totam suavissimam gentem, disait Voltaire en parlant de la plus aimable des sociétés philosophiques de sa jeunesse.

Quoi qu’il en soit de ce charme intérieur, M. de Rémusat a beaucoup agi au dehors, beaucoup influé, beaucoup écrit, sans parler de l’avenir ouvert qui lui reste. Voyons-le à l’œuvre dans le passé ; il s’y est mis de bonne heure, et voilà près de trente ans. Son début fut du côté de la politique. Depuis la fin de 1816, la Restauration marchait dans le sans de la Charte et se rapprochait lentement du libéralisme. L’ordonnance du 5 septembre, en brisant la Chambre de 1815, avait rendu au gouvernement de Louis XVIII la liberté de son action. Pendant les quatre années qui suivirent, il y eut une tentative sérieuse, sincère, pour poser les bases du régime constitutionnel, et le mettre en équilibre au milieu des violences des partis. Ce furent même, à les envisager de loin, les seules années durant lesquelles la Restauration aurait pu réellement se fonder par ses propres mains et s’affermir. Le ministère Villèle, en venant, dès 1821, reprendre à sa manière l’œuvre de la Chambre de 1815 et en se prolongeant six ans, perdit tout ; il mit la méfiance et la désaffection dans tous les rangs. Il n’y eut plus, après ce long et détestable ministère, qu’une courte halte sous M. de Martignac, une halte en apparence triomphante, mais inquiétée au fond et compromise par le souvenir de tout ce qui avait précédé. Le terrain était miné sous les pieds, et, quoique l’atmosphère générale des esprits fût alors fort calmée et presque libre d’orages, une Cour aveugle ne le croyait pas, et on ne croyait guère en elle. La Restauration se divise donc naturellement en deux portions, celle qui précède le ministère Villèle, et celle qui en provient. M. de Rémusat, qui prit une part si brillante aux luttes de la seconde moitié et qui fut, vers la fin, un des chefs de la jeune garde militante, combattit aussi dans la période antérieure comme un actif et vaillant soldat. Le premier ministère de M. de Richelieu,