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nation qui sait tout embellir, la douleur qu’elle adoucit, comme le plaisir qu’elle relève… »

Doué de la sorte et sentant comme il sentait, il était impossible qu’il contînt sa chanson aux simples sujets d’amour ou de table et à la camaraderie de collége[1] ; les intérêts de gloire, de patrie, les événements publics, devaient y retentir aussi, et, en un mot, lui qui chantait depuis 1812, devait naturellement, inévitablement, entrevoir et pressentir dans ses refrains les mêmes horizons que découvrait vers le même temps Béranger. C’est en effet ce qui arriva. Sa chanson adolescente était en train de se transformer, d’enhardir son aile, quand la publication du premier recueil de Béranger, à la fin de 1815, vint faire une révolution dans l’art et dans son esprit : « Je ne crois pas, nous dit M. de Rémusat, qu’aucun ouvrage d’esprit m’ait causé une émotion plus vive que la chanson Rassurez-vous, ma mie, ou Plus de politique. » De lui-même il en avait fait une à cette époque, dans le même sentiment, intitulée Dernière Chanson, ou le 20 novembre (1815)[2]. Une autre intitulée le Vaudeville politique, et dans laquelle il retrace toute l’histoire du noël

  1. Bon nombre des plus anciens couplets de M. de Rémusat furent composés pour un diner de camarades de collége, auquel assistaient tous les mois MM. Victor Le Clerc, Naudet, Odilon Barrot, Germain, et Casimir Delavigne, M. Scribe à partir de 1817 ; etc, etc.
  2. Ce mois néfaste de novembre 1815 fut l’époque duprocès de Ney, du procès de Lavalette, du projet de loi sur les juridictions prévôtales présenté à la Chambre des députés par le duc de Feltre, du projet d’amnistie avec catégories proposé par M. de La Bourdonnaye. Le procès de M. de Lavalette commença le 20 novembre, et celui du maréchal Ney le 21. – Le refrain du jeune Rémusat était presque le même que celui de Béranger, par exemple :

    Mais comment offrir à nos belles
    Des cœurs flétris, des bras vaincus ?
    Nos chants seraient indignes d’elles :
    Français, je ne chanterai plus !

    Mais ici le refrain allait dans le sens direct du couplet. Le refrain de Béranger, au contraire, qui tombait presque dans les mêmes termes,