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gime d’une instruction forte qui laissait subsister l’élan naturel, il se développait sans contrainte ; tout en acquérant un solide fonds d’études, son esprit se tenait au-dessus et s’émancipait. Mais il a dû à cette nourriture première, si bien donnée et si bien reçue, son goût marqué pour les nobles sources de l’antiquité, sa connaissance approfondie de la plus belle et de la plus étendue des langues politiques, cet amour pour Cicéron qui est comme synonyme du pur amour des lettres elles-mêmes ; et, quelques années après (1821), il payait à M. Le Clerc sa dette classique, en traduisant pour la grande édition de l’Orateur romain le traité De Legibus. Une préface, non-seulement érudite, mais philosophique, d’un ordre élevé, y met en lumière les divers systèmes des anciens sur le principe du droit, et témoigne d’un esprit devenu maître en ces questions, et qui s’entend avec Chrysippe comme avec Kant.

Dès le collége une vocation chez lui s’était déclarée très-vive. Il faisait des vers, surtout des chansons. J’en ai parcouru tout un recueil manuscrit, duquel je ne me crois permis de rien détacher. Les premières remontent à 1812. Le jour qu’il a quinze ans, le jour qu’il en a dix-sept, il chante, il jette au vent son gai refrain à travers les grilles du lycée, dans les courts intervalles du tambour. Il parcourt sa vie passée et note déjà ce qu’il appelle ses âges. Sa jeune veine a, pour tous les événements qui l’émeuvent, des couplets très-naturels et très-aimables. Quelquefois c’est une épître à la Gresset qu’il adresse à sa mère du fond de sa pédantesque guérite ; il vient de lire la Chartreuse. Quelquefois c’est une romance plaintive qui s’échappe, ou bien quelque élégie inspirée par le sentiment, et qui me rappelle sans trop d’infériorité la belle pièce de Parny sur l’absence. Mais la forme habituelle et facile pour lui, celle à laquelle il revient de préférence et qui se présente d’elle-même, c’est la chanson. Plus tard, dans un article sur Béranger, il nous en a donné la théorie d’après nature. Dans