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décidé sur les jacobins. Dubois-Crancé, en promettant la paix dans un mois, si l’unanimité pouvait se rétablir dans l’assemblée, et Bourdon de l’Oise, en appelant la noblesse une classe malheureuse et opprimée qui a eu des torts, mais qui doit s’attacher à la république, oublier ses ressentiments, reprendre de l’énergie, m’ont fait une impression beaucoup plus douce que je ne l’aurais attendu d’un démocrate défiant et féroce tel que je me piquais de l’être. Je sens que je me modérantise, et il faudra que vous me proposiez anodinement une petite contre-révolution pour me remettre à la hauteur des principes… Si la paix se fait, comme je le parie, et que la république tienne, comme je le désire, je ne sais si mon voyage en Allemagne ne sera pas dérangé de cette affaire-là, et si je n’irai pas voir, au lieu des stupides Brunswickois et des pesants Hambourgeois, les nouveaux républicains ;

Ce peuple de héros et ce sénat de sages ! »

Il fit en effet le voyage de Paris dans le courant de 1795 ; il y revint et s’y établit en 1796. Nous rejoignons ici le début du piquant article de M. Loève-Veimars. Benjamin Constant n’a pas vingt-neuf ans ; il passe au premier abord pour un jeune Suisse républicain et très-candide, il vient de perdre à peine son air enfantin. Quelques lettres d’un émigré rentré et ami de Mme  de Charrière nous le peignent alors sous son vrai jour extérieur ; nous savons mieux que personne le dedans :

« Paris, 11 messidor (30 juin 1795.)

« J’ai vu notre compatriote Constant[1] ; il m’a comblé d’amitiés… Vous avez vu de son ouvrage dans les Nouvelles politiques du 6, 7, 8 messidor… Benjamin est de tous les muscadins du pays le plus élégant sans doute[2]. Je crois

  1. L’émigré qui écrit ces lettres à Mme  de Charrière s’était fait naturaliser en Suisse ; c’est pour cela qu’il dit notre compatriote.
  2. Tant qu’avait duré la tendre relation de Benjamin Constant