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mère ; mais l’autre se consuma et eut le cœur bouleversé de chagrin, comme une jeune épousée s’affligerait à l’heure du mariage. Et depuis ce moment Daphnis devint le premier des pasteurs, et, à peine à la fleur de la jeunesse, il épousa la nymphe Naïs. »

Ainsi, jusqu’au bout, est observé le ton des âges, et les couleurs pudiques terminent comme elles ont commencé. A propos de cette image du petit Ménalcas qui se dévore de honte d’avoir été vaincu, et que le poète compare à la jeune vierge pleurant sur son hyménée, il faut se rappeler cet admirable cri de Sapho, par lequel une nouvelle mariée s’adresse à Diane, la déesse virginale :« Déesse, déesse, tu me fuis ! pour combien de temps ? – Je ne reviendrai plus jamais vers toi, jamais plus ! »

Pour ceux maintenant qui s’empresseraient de conclure que Théocrite n’est un poëte supérieur que quand il est aimable et riant, et qu’il excelle surtout à mettre en scène de charmants petits bergers, il est temps d’en venir à la plus riche et à la plus opulente de ses pièces, à la reine des Églogues, aux Thalysies.

II

Les Thalysies, comme qui dirait fêtes verdoyantes, se célébraient en l’honneur de Cérès après la récolte. L’idylle qui en est le tableau se rapporte au séjour de Théocrite dans l’île de Cos ; c’est un souvenir de ses années de jeunesse et de florissant bonheur qu’il veut consacrer, et qu’il dédie à ses amis, à ses hôtes. La plénitude de la vie, la fraîcheur des amitiés premières, l’essor des espérances poétiques qu’anime et couronne déjà le premier rayon de la gloire, ces vives sources d’inspiration s’y jouent au sein d’une nature radieuse et féconde dont l’hymne grandiose finit par tout dominer. On sait bien peu de la vie de Théocrite ; mais cette pièce en dit beaucoup sur ses impressions et ses sen-