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Adieu tout mon intérêt alors, car ce n’est pas de l’amitié ; vous m’avez appris à apprécier les mots.

« Je lis en route un roman que j’avais déjà lu et dont je vous avais parlé : il est de l’auteur de Wilhelmina Ahrand[1]. Il me fait le plus grand plaisir, et je me dépite de temps en temps de ne pas le lire avec vous.

« Adieu, vous qui êtes meilleure que vous ne croyez (j’embrasserais Mme  de Montrond sur les deux joues pour cette expression). Je vous écrirai de Durbach après-demain, ou de Manheim dimanche.

« H. B.

« … Dites, je vous prie, mille choses à M. de Charrière. Je crains toujours de le fatiguer, en le remerciant. Sa manière d’obliger est si unie et si immaniérée, qu’on croit toujours qu’il est tout simple d’abuser de ses bontés. »

« Rastadt, le 23 (février).

« Un essieu cassé au beau milieu d’une rue me force à rester ici et m’obligera peut-être à y coucher. J’en profite. Le grand papier sur lequel je vous écris me rappelle la longue lettre que je vous écrivais en revenant d’Écosse, et dont vous avez reçu les trois quarts. Que je suis aujourd’hui dans une situation différente ! Alors je voyageais seul, libre comme l’air, à l’abri des persécutions et des conseils, incertain à la vérité si je serais en vie deux jours après, mais sûr, si je vivais, de vous revoir, de retrouver en vous l’indulgente amie qui m’avait consolé, qui avait répandu sur ma pénible manière d’être un charme qui l’adoucissait. J’avais passé trois mois seul, sans voir l’humeur, l’avarice et l’amitié qu’on devrait plutôt appeler la haine, se relevant tour à tour pour me tourmenter ; à présent faible de corps

  1. Il s’agit sans doute du roman de Herman und Ulrica.