et que rien de tout ce qu’il y a de solide ou de raffiné dans l’homme moderne ne saurait lui rendre une certaine fleur. Ajoutons que, tout en faisant la guerre à Théocrite contre ceux qu’il appelait les savants, et qui, dans ce cas-ci, n’étaient pas autres que les gens de goût, Fontenelle lui-même semble reconnaître son impuissance, et il rend les armes lorsqu’il dit : « Quoi qu’il en soit, je vois que toute leur faveur est pour Théocrite, et qu’ils ont résolu qu’il serait le prince des poëtes bucoliques. » Ils l’ont résolu en effet, et, comme quiconque remonte sincèrement à la source est aussitôt de leur sentiment, l’arrêt toujours rajeuni ne saurait manquer de vivre[1].
L’idylle n’est pas un genre qui puisse indifféremment venir en tout temps et partout ; il y faut une part de naturel, même quand l’art doit s’en mêler. Théocrite n’était plus sans doute dans cet état d’innocence et de naïveté dont il nous a reproduit plus d’un tableau ; il venait à la fin d’une littérature très-cultivée ; il vivait, dit-on, à la cour des rois. Pourtant, dans cette Sicile heureuse, bien que tant de fois bouleversée, il avait été témoin d’une vie réellement pastorale ; il avait, dans sa jeunesse, entendu de vrais chants qu’accompagnait la flûte de vrais bergers, et il n’en fallut pas davantage à son génie inventif pour saisir l’occasion d’une poésie neuve. Théocrite était, par rapport aux choses qu’il représentait, dans cette condition de demi-vérité qui est peut-être la plus favorable à l’imagination. Celle-ci alors, en effet, a de quoi s’appuyer et à la fois de quoi jouer librement ; elle atteint au réel, et tour à tour se tient à distance ; elle serre de près le détail, et elle met à l’ensemble la perspective. Ainsi l’on peut se figurer le poëte syracusain copiant, inventant avec mesure, usant des beaux cadres tout trouvés que
- ↑ Voltaire, avec sa promptitude de goût, ne s’y est pas trompé, et il dit dans une lettre : « Ce Théocrite, à mon sens, était supérieur à Virgile en fait d’églogue. »