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roideur. Si Pétrone et le chevalier de Grammont étaient les deux héros de Saint-Évremond, Pétrone et le maréchal de Clérembaut étaient ceux de notre chevalier, et, si habile de conduite que pût être ce maréchal au parler bègue[1], je le soupçonne sans injure d’avoir été un modèle un peu moins ravissant que le beau-frère d’Hamilton. Pour les idées aussi bien que pour les agréments, le chevalier peut bien n’être jamais allé au delà d’une certaine surface et n’avoir point percé la glace, même en fait d’épicuréisme. Je n’en voudrais qu’une petite preuve que je jette à l’avance ici. Les anciens avaient remarqué que de toutes les écoles de philosophie on passait dans celle d’Épicure, mais qu’une fois dans celle-ci on y restait et qu’on ne passait point à d’autres. Cela est encore vrai, même des modernes ; les vrais épicuriens, ceux qui sont allés une fois au fond, m’ont bien l’air de vivre tels jusqu’au bout et de mourir tels, sauf les convenances. Or le chevalier vieillissant se convertit tout de bon, et ce ne fut pas, comme La Rochefoucauld, à l’extrémité, et pour faire une fin ; il suffit de lire les écrits de ses dernières années pour voir quel bizarre amalgame se faisait, dans son esprit, de son ancien jargon d’honnête homme avec ses nouveaux sentiments de dévot. J’en conclus qu’il ne fut jamais à fond de la secte de La Rochefoucauld, de Saint-Évremond et de Ninon.

Le seul ouvrage de M. de Méré qui vaille aujourd’hui la peine qu’on s’y arrête avec détail, ce sont ses Lettres ; l’on en pourrait tirer un certain nombre de singulières et d’intéressantes. J’en donnerai trois ici. La première est longue ;

  1. Sur le maréchal de Clérembaut (Palluau), plus adroit courtisan que grand guerrier, on peut voir les Mémoires de Mme  de Motteville, 31 mars 1649. – Je craindrais pourtant de ne pas donner une idée assez favorable du maréchal, si je n’indiquais un passage de Saint-Évremond dans un très-agréable morceau sur la Retraite, et encore dans la Conversation avec le duc de Caudale. Ninon paraît aussi avoir fait grand cas de l’esprit du maréchal. Mme  Cornuel parlait de lui plus légèrement.