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« On sent son mérite et sa grandeur aux plus petites choses qu’il dit, non pas à parler pompeusement, au contraire sa manière est simple et sans parure, mais à je ne sais quoi de pur et de noble qui vient, de la bonne nourriture[1] et de la hauteur du génie. Ces maîtres du monde, qui sont comme au-dessus de la fortune, ne regardent qu’indifféremment la plupart des choses que nous admirons, et, parce qu’ils en sont peu touchés, ils n’en parlent que négligemment. Dans un endroit où il raconte qu’il y eut deux ou trois de ses légions qui furent quelque temps en désordre, combattant contre celles de Pompée : On croit, dit-il, que c’étoit fait de César, si Pompée eût su vaincre. Cette victoire eût décidé de l’empire romain. Et, voilà bien peu de mots, et bien simples, pour une si grande chose. – César étoit né avec deux passions violentes : la gloire et l’amour, qui l’entraînoient comme deux torrents[2]… »

Quant à Pétrone, il était fort à la mode en ce moment. Les Saint-Évremond, les Ninon, les Saint-Pavin, les Mitton[3], tous gens aimables et de plaisir, avec qui correspond le chevalier, raffolaient du voluptueux Romain. Lui-même, en son bon temps, le chevalier était de cette secte ; il en était à sa manière, épicurien un peu formaliste et compassé, rédigeant le code d’Aristippe plutôt que de s’y laisser doucement aller. On entrevoit dans ses Lettres tout un groupe plus naturel que lui, plus hardi et plus libre, toute une délicieuse bande qui précède en date et qui présage le groupe des Du Deffand, des Hénault et des Desalleurs, de ces contemporains de la jeunesse de Voltaire. Sous les airs réguliers du grand règne, si l’on sait y lire et y pénétrer, que de petites coteries ininterrompues, du xvie siècle jusqu’au xviiie qui ont eu ainsi pour patron Rabelais ou Pétrone !

  1. Nourriture pour éducation.
  2. Sixième Conversation avec le maréchal de Clérembaut. C’est de ces Conversations que j’ai tiré le plus grand nombre de mes citations, et aussi du premier des traités posthumes, qui a pour titre : de la vraie Honnêteté.
  3. Mitton ne se connaît bien que dans les Lettres de M. de Méré : c’est là qu’on apprend que cet épicurien insouciant avait écrit quelques pages sur l’Honnêteté qui se sont trouvées comprises dans les