Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Hommes ! tout le clinquant de l’antiquité et tout son or pur. A Hambourg, il rencontra Rivarol, plus à sa taille, et se réconcilia avec lui. Ils se dirent des choses plaisantes ; ils échangèrent leurs tabatières[1] ; ce fut un assaut de grâce ; du coup, un bourgeois, là présent, eut presque de l’esprit. Il s’y dépensa plus de bons mots en un quart d’heure, que durant des siècles de la Ligue hanséatique

C’est un trait bien honorable et distinctif du talent et du caractère de Delille, d’avoir su, sans y prendre garde, lasser la malice et désarmer l’agression. Le Brun, parlant de Fréron dans la Métempsycose, avait dit :

Mais il prôna l’ingénieux Delille,
Qui, sous le fard se donnant pour Virgile,
Si bien lima son vers mince et poli,
Que le grand homme est devenu joli.
Ainsi masquant de grâces fantastiques
Le noble auteur des douces Géorgiques,
Par trop d’esprit il n’eut qu’un faux succès…
Oh ! que Le Franc a bien fui cet excès !

Dans une épigramme de date postérieure, Le Brun semble s’adoucir, et il convient que, nonobstant Marmontel, Saint-Lambert et Lemierre,

L’adroit et gentil émailleur
Qui brillanta les Géorgiques,
Des poëtes académiques
Delille est encor le meilleur.

Enfin dans d’autres épigrammes suivantes, il se montre tout à fait apaisé, et le nom de Delille ne revient plus qu’en éloges. Ainsi Marie-Joseph Chénier, qui, dans une petite épitre au poëte émigré rentrant :

Marchand de vers, jadis poëte, Abbé, valet, vieille coquette,
Vous arrivez, Paris accourt, etc. ;

  1. Diomède et Glaucus, Iliade, VI.