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M. Gassendi, il a commencé de ne vous pas épargner. Mais si ce que l’on m’écrit de Paris est véritable, j’espère qu’il en portera bientôt la peine, parce que l’on dit qu’il n’est plus caressé que de M. Diodati, lequel encore beaucoup de ses amis tâchent de désabuser ; et il fait tous les jours tant de sottises que l’on ne l’estime déjà plus bon à rien. Je ne sais si vous avez su que l’on lui avoit retardé le payement de ses gages, à cause qu’il s’étoit couvert impudemment devant le Cardinal et toute la Cour, sans que l’on lui en eût fait signe, et que M. le maréchal d’Estrées dit publiquement à Rome que ce n’est qu’un pédant, et qu’il s’étoit voulu mêler de lui donner une instruction, à laquelle il n’y avoit ne sel ni sauge, ne rime ni raison. Je suis tellement animé contre la méchanceté de cet homme, laquelle je connois mieux que homme du monde, pour l’avoir expérimenté sur moi et vu pratiquer en tant d’autres occasions, que je ne me lasserois jamais d’en médire. C’est pourquoi je vous prie, monsieur, de pardonner si je vous en parle si longtemps : Ipse est catharma, carcinoma, fex, excrementum, – de tous les hommes de lettres auxquels il fait honte et déshonneur… »

Le reste de la lettre est sur d’autres sujets ; elle est datée de « Riète, ce 30 juin 1636. » On y peut joindre cette note que Guy Patin écrivait vers le même temps dans son Index ou Journal :

« 1635. – Le 19 mai, un samedi après midi, ai visité aux Jacobins réformés du faubourg Saint-Honoré un Père italien, réputé fort savant homme, nommé Campanella, avec lequel j’ai parlé de disputes plus de deux heures. De quo vere possum afïirmare quod Petrarcha quondam de Roma : Multa suorum debet mendociis. Il sait beaucoup de choses, mais superficiellement : Multa quidem scit, sed non multum. »

J’ai cru qu’il n’était pas inutile, dans un temps où l’on est en train d’exagérer sur Campanella, de faire connaître cette opinion secrète de Naudé et du monde de Naudé. Puisque leur témoignage extérieur est souvent invoqué en l’honneur du philosophe calabrois, il était juste qu’on eût le témoignage intime et confidentiel.