Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/529

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crois que si vous voulez prendre la peine de traiter cet accord de la sorte, il vous réussira. Je me résous d’autant plus volontiers que je ne voudrois pas, par ma rupture avec lui, vous engager à en faire autant de votre côté, comme il semble que vous m’écriviez de vouloir faire. Mais je vous proteste, monsieur, que, telle satisfaction que me donne ledit Père, je ne le tiendrai jamais pour autre que pour un homme plus étourdi qu’une mouche, et moins sensé ès-affaires du monde qu’un enfant ; et si d’aventure il s’obstine de ne vouloir entendre à tant de voies d’accord que je lui fais présenter par mes amis en rongeant mon frein le plus qu’il m’est possible, et qu’il veuille toujours persister en ses menteries ordinaires et en ses impostures, j’en ferai une telle vengeance à l’avenir que, s’il a évité les justes ressentiments du maître du palais de Rome en s’enfuyant à Paris sous prétexte d’être poursuivi des Espagnols qui ne pensoient pas à lui, il n’évitera pas pourtant les miens. Au reste, je fusse toujours demeuré dans la promesse que je vous avois faite de mépriser les médisances qu’il vous avoit faites de moi, si trois ou quatre mois après je n’eusse reçu nouvel avis de Paris et de la part de M. de La Motte[1] que je vous nomme confidemment, et depuis encore par la bouche du Père Le Duc, minime, qu’il continuoit tous les jours à vomir son venin contre moi ; après quoi je vous avoue que la patience m’est échappée, mais non pas néanmoins que j’aie encore rien écrit contre ledit Père, sinon en général à ceux que je croyois le pouvoir remettre en bon chemin ; ce qui néanmoins n’a servi de rien jusqu’à cette heure, à cause de son orgueil insupportable : et Dieu veuille que vous ne soyez pas le quatrième de ses bienfaiteurs qui éprouviez son étrange ingratitude ! Je ne saurois mieux le comparer qu’à un charlatan sur un théâtre. Il chiarle[2] puissamment, il ment effrontément, il débite des bagatelles à la populace ; mais avec tout cela c’est un fol enragé, un imposteur, un menteur, un superbe, un impatient, un ingrat, un philosophe masqué qui n’a jamais su ce que c’étoit de faire le bien ni de dire la vérité. J’ai regret d’y avoir été attrapé par les persuasions de M. Diodati, mais j’ai encore plus de regrets qu’il vous en soit arrivé de même, et que vous lui ayez fait tant d’honneurs et de caresses ; car je pénètre quasi que, depuis la lettre que vous lui écrivîtes de

  1. La Mothe-Le-Vayer.
  2. Ciarla, en italien, d’où charlatan.