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La seconde Fronde lui laissait peu d’espoir de recouvrer sa condition première ; il accepta d’honorables propositions de la reine Christine, et partit pour la cour de Stockholm, où il fut bibliothécaire durant quelques mois. Cette cour était devenue sur la fin un guêpier de savants qui s’y jouaient des tours ; Naudé n’y tint guère. Il était d’ailleurs à l’âge où l’on ne recommence plus. Il revenait de là, dégoûté de sa tentative, rappelé sans doute aussi par le mal du pays et par la perspective de jours meilleurs après les troubles civils apaisés, lorsqu’il fut pris de maladie et mourut en route, à Abbeville, le 29 juillet 1633, avant d’avoir pu revoir et embrasser ses amis. Il fut amèrement regretté de tous, particulièrement de Guy Patin, qui ne parle jamais de son bon et cher ami M. Naudé qu’avec un attendrissement bien rare en cette caustique nature, et qui les honore tous deux :« Je pleure incessamment jour et nuit M. Naudé. Oh ! la grande perte que j’ai faite en la personne d’un tel ami ! Je pense que j’en mourrai, si Dieu ne m’aide (25 novembre 1653). » – Les érudits composèrent à l’envi des vers latins sur la mort du confrère qui les avait si libéralement servis. On peut trouver cependant qu’il ne lui a pas été fait de funérailles suffisantes : on’n’a pas recueilli ses oeuvres complètes ; il n’a pas été solennellement enseveli. Mort en 1653, du même âge que le siècle, il n’en représentait que la première moitié, au moment où la seconde, si glorieuse et si contraire, allait éclater. Les Provinciales parurent six années seulement après le Mascurat, et donnèrent le signal : la face du monde littéraire fut renouvelée. Naudé rentra vite, pour n’en plus sortir, dans l’ombre de ces bibliothèques qu’il avait tant aimées et qui allaient être son tombeau. On imprima de lui un volume de lettres latines criblé de fautes. On rédigea le Naudoeana, ou extrait de ses conversations, criblé de bévues également.

    des Ouvrages posthumes de Mabillon. Dom Thuillier, bénédictin, y prend une revanche sur Naudé.