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La vente se fit pourtant, bien qu’avec de certains accommodements peut-être. Naudé en racheta pour sa part tous les livres de médecine, et il paraît qu’il y eut des prête-noms du cardinal qui en sauvèrent d’autres séries tout entières. Du moins M. Petit-Radel a beaucoup insisté sur ces rachats concertés qu’il démontre avec chaleur, comme si son amour-propre d’administrateur et d’héritier y était intéressé. Quoi qu’il en soit, le coup était porté pour l’auteur même ; l’intégrité et l’honneur de l’oeuvre unique avaient péri. « On vend toujours ici la bibliothèque de ce rouge tyran, écrit Guy Patin (30 janvier 1652) ; seize mille volumes en sont déjà sortis ; il n’en reste plus que vingt-quatre mille. Tout Paris y va comme à la procession : j’ai si peu de loisir que je n’y puis aller, joint que le bibliothécaire qui l’avoit dressée, mon ami de trente-cinq ans, m’est si cher, que je ne puis voir cette dissolution et destruction..... » Il fallait que Guy Patin aimât bien fort Naudé pour s’attendrir à l’endroit d’une disgrâce arrivée au Mazarin.

Un malheur ne vient jamais seul ; Naudé en eut un autre en ces années. Étant autrefois à Rome, il avait été consulté et avait donné son avis sur des manuscrits de l’Imitation de Jésus-Christ que les bénédictins revendiquaient pour un moine de leur Ordre, Gersen ; il n’était pas de leur avis, et avait jugé les manuscrits quelque peu falsifiés. Son témoignage en resta là et sommeilla quelque temps. Mais bientôt les chanoines réguliers de Saint-Augustin, qui revendiquaient l’Imitation pour Akempis, c’est-à-dire pour leur saint, comme les bénédictins pour le leur, introduisirent l’autorité, et l’acte de Naudé dans la discussion. Il y intervint lui-même par de nouveaux écrits publics. Courier, avec son fameux pâté sur le manuscrit de Longus, sut ce que c’est que d’avoir affaire à des pédants antiquaires et chambellans ; Naudé, si prudent, si modéré, apprit bientôt à ses dépens ce que c’est que d’avoir affaire à des pédants, de plus théologiens, surtout à un Ordre tout entier et à des moines. Quand on est sage, règle géné-