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mage et ayant le verre à la main, comme nous l’avons maintenant, que tous les Académistes de Cicéron en ses plus délicieuses vignes, in Tusculano, in Cumano, in Arpinati. » Il continue, selon son usage, d’épuiser tous les exemples de dialogues anciens qui se tiennent, tantôt au milieu des rues, comme le Gorgias, tantôt dans une maison du Pirée, comme la République, ou bien encore sous le portique du temple de Jupiter ou aux bords de l’Ilissus. De là à un cabaret de la Cité évidemment il n’y a qu’un pas. Et sur ce que ce sont deux imprimeurs qui ont dit ces belles choses, Mascurat, qui a voyagé, cite l’exemple des savetiers italiens dont la politique est encore plus raffinée que celle des imprimeurs de ce pays-ci : « Finalement, ajoute-t-il, pourquoi trouver étrange que nous ayons dit tant de choses en un jour, puisque nous voyons tant de tragédies nous représenter en pareil espace de temps des histoires que l’on ne jugeroit jamais, à cause d’une infinité de rencontres et d’incidents, avoir été faites dans l’espace de vingt-quatre heures… Et puis, si le Timée, le Gorgias, le Phédon et les dialogues de Republica et de Legibus de Platon, quoiqu’ils soient bien plus longs que les nôtres, ont bien été faits en un jour…, pourquoi ne voudra-t-on pas que nous ayons dit, depuis cinq heures du matin jusques à sept heures du soir, ce que, s’il étoit imprimé, il ne faudroit guère davantage de temps pour lire ?… » Il en faut un peu plus, quoi qu’il en dise ; et, avec notre dose d’attention d’aujourd’hui, ne vient pas à bout qui veut de ce gros in-4o immense. C’est pourquoi nous y avons tant insisté[1].

  1. M. Artaud, dans son ouvrage sur Machiavel (tome II, pages 336-350), cite un ouvrage manuscrit français qui est une apologie remarquable de l’illustre Florentin, et il se dit tenté de l’attribuer à Gabriel Naudé. Mais, sans parler des autres objections, comme cette apologie ne put être composée que vers ou après 1649, Naudé eut bien assez à faire, en ces années, avec son Mascurat d’abord, puis avec les tracas et calamités qui vont l’envahir, pour qu’on ne puisse lui imputer un travail dont on ne verrait d’ailleurs pas le but sous sa plume.