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Lorsqu’on vendit, en 1657, la bibliothèque de M. Moreau, l’ancien professeur de Naudé et de Guy Patin, ce dernier écrivait à Spon : « Ce qui reste de la bibliothèque de M. Moreau se vend à la foire, j’entends les livres de philosophie, d’humanités et d’histoire. Il avoit fort peu de théologie et haïssoit toute controverse de religion ; même je l’ai mainte fois vu se moquer de ceux qui s’en mettoient en peine. Je pense qu’il était de l’avis de M. Naudé, qui se moquoit des uns et des autres, et qui disoit qu’il falloit faire comme les Italiens, bonne mine sans bruit, et prendre en ce cas-là pour devise :

Intus ut libet, foris ut moris est.
Je prends acte à regret du fond des sentiments ; mais on n’aurait certainement pas trouvé dans la bibliothèque de Naudé

    Louis XI. Ayant recommencé à parler de cette grande roue des siècles qui fait paraître, mourir et renaître chacun à son tour sur le théâtre du monde, « si tant est que la terre ne tourne, dit-il (car il n’a garde d’en être tout à fait aussi sûr que Copernic et Galilée), au moins faut-il avouer que non-seulement les cieux, mais toutes choses, se virent et tournent à l’environ d’icelle. » Et citant Velleius Paterculus, lequel est avec Sénèque un vrai penseur moderne entre les anciens, il en vient à admirer la conjonction merveilleuse qui se fait à de certains moments, et la conspiration active de tous les esprits inventeurs et producteurs éclatant à la fois ; mais cela ne dure que peu ; la lumière, si pleine tout à l’heure, ne tarde pas à pâlir, l’éclipse recommence, l’éternel conflit de la civilisation et de la barbarie se perpétue : c’est toujours Castor et Pollux qui reparaissent sur la terre l’un après l’autre, ou plutôt c’est Atrée et Thyeste qui régnent successivement en frères peu amis. Et au nombre des causes de ces mystérieuses vicissitudes, Naudé ne craint pas de mettre « la grande bonté et providence de Dieu, lequel, soigneux de toutes les parties de l’univers, départit ainsi le don des arts et des sciences, aussi bien que l’excellence des armes et établissement des empires, ou en Asie, ou en Europe, permettant la vertu et le vice, vaillance et lâcheté, sobriété et délices, savoir et ignorance, aller de pays en pays, et honorant ou diffamant les peuples en diverses saisons ; afin que chacun ait part à son tour au bonheur et malheur, et qu’aucun ne s’enorgueillisse par une trop longue suite de grandeurs et prospérités. » C’est là une belle page et digne de Montaigne. (Voir aussi le début du chapitre IV des Coups d’État.)