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tion du service et de l’utilité que l’on en peut recevoir. Concevant cette utilité dans le sens le plus large et le plus philosophique, il propose le plan d’une bibliothèque universelle, encyclopédique, qui comprenne toutes les branches de la connaissance et de la curiosité humaines, et dans laquelle toutes sortes de livres sans exclusion soient recueillis et classés. De plus, il la veut publique moyennant de certaines précautions, et il sait intéresser à cette publicité, par d’adroits chatouillements, la vanité des Pollions et des Mécènes. Il n’y avait à cette époque en Europe que trois bibliothèques véritablement publiques, la Bodléenne à Oxford, l’Ambrosienne à Milan, et celle de la maison des Augustins ou l’Angélique, à Rome, tandis que dans l’ancienne Rome on en avait compté vingt-neuf selon les uns, trente-sept suivant les autres. En France, à Paris, parmi les riches bibliothèques alors renommées, y compris celle du Roi, il n’y en avait aucune qui répondît au vœu de Naudé, c’est-à-dire qui fût ouverte à chacun et de facile entrée, et fondée dans le but de n’en dénier jamais la communication au moindre des hommes qui en pourra avoir besoin. Ce fut son innovation à lui, son instigation active. Il y poussait dès lors le président de Mesmes ; vingt ans après il y convertissait le cardinal Mazarin et avait la satisfaction, vers 1648, à la veille même de la Fronde, de voir la merveilleuse bibliothèque amassée et ordonnée par ses soins s’ouvrir le jeudi à tous les hommes d’étude qui s’y présenteraient. Par une attention touchante et qui ne pouvait venir que de lui, sachant la sauvagerie de bien des gens de lettres, il avait fait pratiquer une porte particulière afin de leur éviter l’embarras d’avoir affaire aux grands laquais de l’hôtel et de passer même devant eux, ce qui en pouvait effaroucher quelques-uns[1]. Notons bien ce titre d’honneur, ce bienfait essentiel de Naudé, et en

  1. Voir le Mascurat, page 246. Cette porte particulière n’eut pas temps de s’ouvrir, à cause des troubles. L’hôtel du cardinal Mazarin tenait précisément le même local qu’occupe aujourd’hui la Bibliothèque du Roi. Il était dans les destinées que le vœu, le plan