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gieuse des Rose-Croix a pu naître de l’enivrement d’invention qui suivit le xvie siècle. Après tant de nouveautés que l’âge des derniers parents avait vues sortir, on arrivait aisément à se persuader qu’il n’y avait plus qu’une seule découverte et qu’une seule merveille qui en méritât le nom. La nature, jouant de son reste, ramassait toutes ses forces pour produire ce dernier bouquet d’illumination et d’artifice. À lire quelques-uns des arguments de Naudé, on croirait (sauf le style un peu différent) lire certaines boutades de Charles Nodier raillant les sectes novatrices de notre âge, les saint-simoniens ou autres. Sous la plume des deux railleurs, l’exemple de Postel, de ses ineffables rêveries et de sa mère Jeanne, qui devait émanciper, racheter les femmes (car Jésus-Christ, disait Postel, n’avait racheté que les hommes), revient souvent comme limite extrême des folies savantes. Le Postel fut présent de bonne heure à Naudé pour lui prouver que tout se peut dire et croire, pour lui apprendre à se méfier de la sottise humaine, jusqu’en de grands esprits et au sein de la plus haute doctrine. A l’âge de vingt-trois ans, Naudé nous paraît déjà dans ce livre ce qu’il sera toute sa vie, revenu et guéri de l’ambition des nouveautés où il s’était fantasié d’abord, se rabattant au passé de préférence et aux opinions des anciens, visant à se réfugier, à pénétrer de plus en plus dans la vérité secrète et entre sages, sub rosa, comme il dit[1]. Le cha-

  1. La rose, dans l’antiquité, était l’emblème à la fois du plaisir et du mystère ; c’est pourquoi on la suspendait aux festins :

    Est rosa flos Veneris, eujus quo furte laterent,
    Harpocrati matris dona dicavil Amor.
    Inde rosam mensis hospes suspendit amicis,
    Conviva ut sub ea dicta taceuda sciat.

    Naudé, qui cite cette épigramme dans la préface de ses Rose-Croix, l’a remise depuis dans son Mascurat, et en a fait la plus jolie page de ce gros in-4o : « La fable ancienne ou moderne dit que le Dieu d’Amour lit présent au Dieu du Silence, Harpocrate, d’une belle fleur de rose, lorsque personne n’en avoit encore vu et qu’elle étoit toute nouvelle, afin qu’il ne découvrît point les secrètes pratiques et conversations de Vénus sa mère ; et que l’on a pris de là occasion de