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de se redonner par intervalles un peu de fraîcheur et une soif de nouveauté. Cardan, Pic de la Mirandole, Scaliger, ces colosses de science, ou mieux, pour parler comme notre auteur, ces preux de pédanterie, aussi merveilleux et plus vrais que ceux de la Table-Ronde, étaient donc les maîtres familiers de Naudé et les rudes jouteurs auxquels avait affaire incessamment son adolescence. Quant à ceux qui avaient écrit en français, tels que Bodin, Charron et Montaigne, il n’y pouvait voir que ses compagnons de plaisir, tant c’était facilité de les aborder au prix des autres. Le xvie siècle (on avait droit de le croire à l’immensité de l’inventaire) avait et possédait tout, – tout, hormis ce seul petit fruit assez capricieux, qui ne vient, on ne sait pourquoi, qu’à de certaines saisons et à de certaines expositions de soleil, je veux dire le bon goût, ce présent des Grâces[1].

Le bon goût dans les choses littéraires, et la méthode, cet autre bon goût qui est particulier aux sciences, le xvie siècle n’en sut point le prix ni l’usage. Galilée seul fit exception comme savant, et offrit l’instrument exact à l’âge qui succéda. Auparavant, la confusion tout le long du chemin compromettait la recherche, et encombrait en fin de compte la découverte. L’astronomie de ces temps continuait de se mêler à l’astrologie, la chimie à l’alchimie, la géométrie aux nombres mystiques ; la physique n’avait pas fait divorce avec les charlatans. Ce n’était pas le vulgaire seul qui parlait de magie. Les superstitions de toutes sortes trouvaient place à côté de l’audace de la pensée et jusque dans l’incrédulité philosophique. Les plus grands esprits, Cardan, Bodin, Agrippa, Postel, inclinent par moments au vertige et aux chimères. Le résultat de cette vaste époque effervescente à son lendemain et auprès des esprits rassis, judicieux, critiques, qui l’embrasseraient par la lecture, devait être naturellement

  1. S’il l’eut sur un point, ce fut en architecture et sculpture sous les Valois, pas en une autre branche.