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Et dans les Fâcheux :

L’amour aime surtout les secrètes faveurs ;
Dans l’obstacle qu’on force il trouve des douceurs,
Et le moindre entretien de la beauté qu’on aime,
Lorsqu’il est défendu, devient grâce suprême.

Et dans la Princesse d’Élide, premier acte, première scène, ces vers qui expriment une observation si vraie sur les amours tardives, développées longtemps seulement après la première rencontre :

Ah ! qu’il est bien peu vrai que ce qu’on doit aimer,
Aussitôt qu’on le voit, prend droit de nous charmer,
Et qu’un premier coup d’œil allume en nous les flammes
Où le Ciel en naissant a destiné nos âmes !

avec toute la tirade qui suit. – Or Molière, de complexion sensible à ce point et amoureuse, vers le temps où il peignait le plus gaiement du monde Arnolphe dictant les commandements du mariage à Agnès, Molière, âgé de quarante ans lui-même (1662), épousait la jeune Armande Béjart, âgée de dix-sept au plus et sœur cadette de Madeleine[1]. Malgré sa pas-
  1. On a cru longtemps que cette Béjart, femme de Molière, était fille naturelle et non sœur de l’autre Béjart ; on l’a même cru du vivant de Molière, et depuis sans interruption, jusqu’à ce que M. Beffara découvrît de nos jours l’acte de mariage qui dérange cette parenté. M. Fortin d’Urban a essayé d’infirmer, non pas l’authenticité, mais la valeur de cet acte, et, au milieu de beaucoup de raisons vaines, il a avancé quelques réflexions assez plausibles. Il est bien singulier, en effet, que tous les biographes de Molière, à partir de Grimarest, aient écrit, sans contradiction, qu’il avait épousé la fille naturelle de la Béjart, sa première maîtresse. Montfleury adressa même à Louis XIV une dénonciation contre l’illustre comique, l’accusant d’avoir épousé la fille après avoir vécu avec la mère, et insinuant par là qu’il avait pu épouser sa propre fille : ce qui, dans tous les cas, serait invinciblement réfutable par les dates. Louis XIV ne répondit à ce déchaînement de la haine qu’en devenant parrain du premier enfant qu’eut Molière. Certes, la plus directe justification que Molière pût offrir au roi en cette circonstance fut l’acte de son mariage et la preuve que