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curgue s’y briserait. Il faut subir son temps pour agir sur lui. M. de Maistre ne voit que les principes antiques, et les voyant vivants et pratiqués (avec moins de rigueur pourtant qu’il ne le dit) dans le passé, dans un passé récent, il a l’air de croire qu’on pourra les replanter exactement tels ou à peu près dans l’avenir, dans un avenir prochain ; il se trompe. Ces principes, autrefois et hier encore vivants, ainsi replantés, deviennent aussi abstraits et aussi morts que ceux des constitutionistes et des faiseurs sur papier dont il se moque. On ne replante pas à volonté les grands et vieux arbres ; et des nouveaux, c’est le cas, pour le réfuter, de dire avec lui : Rien de grand n’a de grand commencement, crescit occulto velut arbor cevo. En effet, à travers ce qu’il appelle un pur interrègne, un chaos, quelque chose en dessous s’est péniblement formé, ou du moins trituré, pétri, préparé ; c’est ce quelque chose de nouveau et de mixte qui doit faire le fond du prochain régime et qui doit vivre. Il manquait à M. de Maistre, absent, de l’avoir vu de près, encore sans nom (car le nom de tiers-état dont Sieyès l’avait baptisé au début n’était que l’ancien). La Constitution de l’an III, dont l’auteur des Considérations se moque, tenait déjà compte à sa manière, autant qu’elle le pouvait dans l’effervescence, de cette moyenne encore informe de la nation que les journées de Fructidor et autres coups d’État refoulèrent. Le Consulat surtout en tint compte et s’y fonda ; l’Empire à la fin la méconnut tout à fait et se perdit. C’est également pour avoir méconnu ce quelque chose de mixte qu’elle avait tant contribué à créer et à organiser, que la Restauration a péri ; c’est parce qu’il le respecte, qu’il l’accommode, et qu’en gros il le contente, que le régime présent est en train de vivre. Il oublie même un peu trop de le diriger, et il y cède trop. – Soit. – C’est le défaut contraire au précédent. – Ce n’est pas un très noble régime, dira-t-on, qu’un tel régime représentatif et monarchique, avec une seule hérédité, sans aristocratie véritable, sans démocratie entière et Franche. – Non : mais c’est un