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d’abord tout un tableau de la Terreur en sa malheureuse patrie. Puisque les grands historiens s’occupent si peu de ces vérités de détail, de ces bagatelles provinciales et locales, qui gêneraient leurs évolutions, qu’on veuille bien permettre au biographe de ne pas les négliger. Les Français, comme on l’a dit, étant entrés en Savoie le 22 septembre 1792, on ne vit, pendant un mois, que ce qu’on voit dans toutes les conquêtes ; mais bientôt, les assemblées primaires ayant été convoquées, elles nommèrent des députés qui se réunirent à Chambéry sous le nom d’Assemblée nationale des Allobroges. L’homme influent dans cette Assemblée qui ne siégea que huit jours, celui qui dirigea tout, et dicta presque tous les décrets, fut le député Simond, de Rumilli dans le Mont-Blanc, ci-devant prêtre, guillotiné en 1794. Une loi de cette Assemblée invita tous les citoyens qui avaient émigré dès le 1er août 1792 à reprendre leur domicile dans le terme de deux mois, sous peine de confiscation de tous leurs biens. On antidatait l’émigration, comme on voit, et on la faisait même antérieure à l’entrée des Français dans le pays : c’était pour atteindre certains grands propriétaires.

Les militaires firent leur devoir et restèrent à leur poste, fidèles à leurs serments. Presque tous les autres (et M. de Maistre de ce nombre), les femmes surtout et les enfants, rentrèrent en Savoie sur la foi de l’Assemblée. Au cœur de l’hiver, ils arrivèrent en foule et reprirent domicile dans le délai qui s’était prolongé jusqu’au 27 janvier 93 ; mais, au lieu de la tranquillité qu’ils avaient droit d’attendre, ils ne trouvèrent qu’une persécution cruelle. L’auteur du mémoire, témoin oculaire, en signale les hideuses particularités qui ne sont qu’une variante de ce qui se passait alors universellement ; on emprisonne les hommes d’une part, les femmes de l’autre ; on sépare les mères et les enfants ; on sépare les époux : « C’était, disait le représentant Albitte, pour satisfaire à la décence. La cruauté dans le cours de cette Révolution a souvent eu, s’écrie l’auteur, la fantaisie de