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et va décidément triompher. Les premières pages sont un peu dans l’imitation et le ton de Voltaire faisant l’éloge funèbre des officiers morts pendant la campagne de 1741, dans le ton de Vauvenargues lui-même déplorant la perte de son jeune et si intéressant ami Hippolyte de Seytres. L’auteur ne vient pas pour distraire, il ne veut pas même consoler, il ne veut que s’attrister avec une mère. Il célèbre dès le début l’éducation morale par opposition à l’éducation scientifique : – Laisser mûrir le caractère sous le toit paternel, – ne pas répandre l’enfance au dehors. L’homme moral est plus tôt formé qu’on ne croit. Au reste, aucun système d’éducation ne saurait être généralisé : ici on appliqua l’amour ; Eugène était son nom, le Bien-né. Le panégyriste s’étend un peu sur les anecdotes d’enfance, puerilia : un jour, on trouva l’enfant occupé à souffler de toutes ses forces le feu dans une chambre sans lumière : « Je travaille, dit-il, pour faire revenir mon nègre, » il appelait ainsi son ombre. – Eugène fut un enfant préservé. Il cultive les arts, la peinture. Est-ce à Genève qu’il va suivre ses études ? La périphrase l’indiquerait, mais le nom n’y est pas ; l’auteur en est encore aux périphrases comme plus élégantes. Des pensées élevées et politiques se font jour à travers cette gracieuse déclamation. Eugène, selon l’usage, entre au sortir de l’enfance dans la carrière militaire : « Il ne dépend point de nous de créer les coutumes ; elles nous commandent. Leurs suites morales et politiques sont l’affaire du Souverain ; la nôtre est de les suivre paisiblement et de ne jamais déclamer contre elles. » – Et sur la pureté de mœurs d’Eugène dans sa vie de garnison : « Pour lui le mauvais exemple était nul, ou changeait de nature ; il n’avait d’autre effet que de le porter à la vertu, par un mouvement plus rapide, composé de l’attrait du bien et de l’action répulsive du mal sur cette âme pure comme la lumière. »

Au moment où la Révolution éclate, on dirait que l’auteur