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qui devait porter si haut leur espérance[1]. Dès l’âge de cinq ans, l’enfant eut un instituteur particulier, qui, deux fois par jour, après son travail, le conduisait dans le cabinet de son grand-père de Motz. La nourriture d’étude était forte, antique, et tenait des habitudes du xvie siècle, mieux conservées en Savoie que partout ailleurs. L’esprit du grand jurisconsulte Favre n’avait pas cessé de hanter ces vieilles maisons parlementaires. Tout concourait ainsi, dès le début, à faire de M. de Maistre ce qu’il apparaît si impérieusement dans ses écrits, le magistrat-gentilhomme, l’héritier et le représentant du droit patricien et fécial, comme dit Ballanche.

Tout enfant, il eut une impression très-vive et qui ne s’effaça jamais : c’était l’époque où l’on supprimait en France l’ordre des jésuites (1764) ; cet événement faisait grand bruit, et l’enfant, qui en avait entendu parler tout autour de lui, sautait pendant sa récréation en criant : On a chassé les jésuites ! Sa mère l’entendit et l’arrêta : « Ne parlez jamais ainsi, lui dit-elle ; vous comprendrez un jour que c’est un des plus grands malheurs pour la religion. » Cette parole et le ton dont elle fut prononcée lui restèrent toujours présents ; il était de ces jeunes âmes où tout se grave.

Les conseils des jésuites de Chambéry, amis de sa famille et très-consultés par elle, entrèrent aussi pour beaucoup dans son instruction ; la reconnaissance se mêla naturellement chez lui à ce que par la suite, en écrivant d’eux, la doctrine lui suggéra[2].

Quoique élevé sous une tutelle particulière et domestique, il paraît avoir suivi en même temps les cours du collége de Chambéry ; un jour, en effet, me raconte-t-on[3], un écolier

  1. Outre le comte Xavier, M. de Maistre eut trois frères, un évêque et deux militaires, gens distingués a tous égards, mais que rien d’ailleurs ne rattache plus particulièrement à lui.
  2. Voir dans le Principe générateur les beaux paragraphes XXXV et XXXVI.
  3. Je ne crois pas commettre une indiscrétion et je remplis un