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vivement de toutes les occasions de s’éclairer ou de se mûrir au sein de ces inappréciables sociétés d’alors, qu’il appelle si bien des écoles brillantes de civilisation. C’est ce sérieux dissimulé sous des formes aimables qui en faisait le charme principal, et dont le secret s’est perdu depuis. On en retrouve le regret en même temps que l’expression en plus d’une page des Mémoires de M. de Ségur ; car combien, sous cette plume facile, d’aperçus historiques profonds et vrais ! Le lecteur amusé qui court est tenté de n’en pas saisir toute la réflexion, tant cela est dit aisément.

M. de Ségur, au retour de sa campagne d’Amérique, rapportait en portefeuille une tragédie en cinq actes de Coriolan, qu’il avait composée dans la traversée à bord du Northumberland et qui fut jouée ensuite par ordre de Catherine sur le théâtre de l’Ermitage. Quelques contes, des fables, de jolies romances, de gais couplets, lui avaient déjà valu les encouragements du duc de Nivernais, du chevalier de Bouflers, et les conseils de Voltaire lui-même, au dernier voyage du grand poëte à Paris. Ce gracieux bagage de famille et de société[1] offrait à la fin son étiquette et comme son cachet dans une spirituelle approbation et un privilège en parodie qui étaient censés émaner de la jeune épouse de l’auteur, petite-fille d’un illustre chancelier :

D’Aguesseau de Ségur, par la grâce d’amour,
L’ornement de Paris, l’ornement de la cour,
À tous les gens à qui nous avons l’art de plaire,
C’est-à-dire à tous ceux que le bon goût éclaire,
Salut, honneur, plaisir, richesse et volupté,
Presque point de raison et beaucoup de santé !
Notre époux trop enclin à la métromanie, etc., etc.
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À ces causes voulant bien traiter l’exposant,
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  1. Une partie se trouve dans les Mélanges, et le reste dans le Recueil de Famille, volume qui n’a eu qu’une demi-publicité.