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était livré autour du Cid, comme il s’en renouvela ensuite autour de Phèdre ; ce furent là d’illustres journées pour l’art dramatique. La Critique de l’École des Femmes et l’Impromptu de Versailles en apprennent suffisamment sur le premier démêlé, qui fut surtout une querelle de goût et d’art, quoique déjà la religion s’y glissât à propos des commandements du mariage donnés à Agnès. Les Placets au Roi et la préface du Tartufe marquent assez le caractère tout moral et philosophique de la seconde lutte, si souvent depuis et si ardemment continuée. Ce que je veux rappeler ici, c’est qu’attaqué des dévots, envié des auteurs, recherché des grands, valet-de-chambre du roi et son indispensable ressource pour toutes les fêtes, Molière, avec cela troublé de passions et de tracas domestiques, dévoré de jalousie conjugale, fréquemment malade de sa fluxion de poitrine et de sa toux, directeur de troupe et comédien infatigable bien qu’au régime et au lait, Molière, durant quinze ans, suffit à tous les emplois, qu’à chaque nécessité survenante son génie est présent et répond, gardant de plus ses heures d’inspiration propre et d’initiative. Entre la dette précipitamment payée aux divertissements de Versailles ou de Chambord et ses cordiales avances au bon rire de la bourgeoisie, Molière trouve jour à des œuvres méditées et entre toutes immortelles. Pour Louis XIV, son bienfaiteur et son appui, on le trouve toujours prêt ; l’Amour médecin est fait, appris et représenté en cinq jours ; la Princesse d’Élide n’a que le premier acte en vers, le reste suit en prose, et, comme le dit spirituellement un contemporain de Molière, la comédie n’a eu le temps cette fois que de chausser un brodequin ; mais elle paraît à l’heure sonnante, quoique l’autre brodequin ne soit pas lacé. Mèlicerte seule n’est pas finie, mais les Fâcheux le furent en quinze jours ; mais le Mariage forcé et le Sicilien, mais Georges Dandin, mais Pourceaugnac, mais le Bourgeois Gentilhomme, ces comédies de verve avec intermèdes et ballets, ne firent jamais faute. Dans les intérêts de sa troupe, il lui fallut souvent dépêcher l’ouvrage, comme quand il fournit son théâtre d’un