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 Dis-moi, la clef de ce mystère,
 L’emporteras-tu dans le ciel ?

30 septembre 1828.

Sans prétendre sonder, à mon tour, le secret de cette destinée de poëte et mettre la main sur la clef fuyante de son cœur, il me semble, à voir jusqu’à la fin sa solitaire imagination se dévorer comme une lampe nocturne et la flamme sans aliment s’égarer chaque soir aux lieux déserts, – il me semble presque certain que cette jeune Fille idéale, cet Ange de poésie, celle que M. de Chateaubriand a baptisée la Sylphide, fut réellement le seul être à qui appartint jamais tout son amour ; et comme il l’a dit dans d’autres stances du même temps :

 C’est l’Ange envolé que je pleure,
 Qui m’éveillait en me baisant,
 Dans des songes éclos à l’heure
 De l’étoile et du ver-luisant.

 Toi qui fus un si doux mystère,
 Fantôme triste et gracieux,
 Pourquoi venais-tu sur la terre
 Comme les Anges sont aux cieux ?

 Pourquoi dans ces plaisirs sans nombre,
 Oublis du terrestre séjour,
 Ombre rêveuse, aimai-je une Ombre
 Infidèle à l’aube du jour[1] ?

De ces premières saisons de Bertrand, en ce qu’elles avaient de suave, de franc malgré tout et d’heureux, rien ne saurait nous laisser une meilleure idée qu’une page toute naturelle, qu’il a retranchée ensuite de son volume de choix, précisé-

  1. Plus tard pourtant, si nous en croyons quelques légers indices, il aurait aimé moins vaguement, ou cru aimer ; mais, même alors, le meilleur de son cœur dut être toujours pour l’Ange et pour l’Ombre.