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naître, c’est que les imitations chez Molière sont de toute source et infinies ; elles ont un caractère de loyauté en même temps que de sans-façon, quelque chose de cette première vie où tout était en commun, bien qu’aussi d’ordinaire elles soient parfaitement combinées et descendant quelquefois à de purs détails. Plaute et Térence pour des fables entières, Straparole et Boccace pour des fonds de sujets, Rabelais et Régnier pour des caractères, Boisrobert et Rotrou et Cyrano pour des scènes, Horace et Montaigne et Balzac pour de simples phrases, tout y figure ; mais tout s’y transforme, rien n’y est le même. Là où il imite le plus, qui donc pourrait se plaindre ? à côté de Sosie qu’il copie, ne voilà-t-il pas Cléanthis qu’il invente ? De telles imitations, loin de nous refroidir envers notre poète, nous sont chères ; nous aimons à les rechercher, à les poursuivre jusqu’au bout, dans un intérêt de parenté. Ces masques fameux de la bonne comédie, depuis Plaute jusqu’à Patelin, ces malicieux conteurs de tous pays, ces philosophes satiriques et ingénieux, nous les convoquons un moment autour de notre auteur dans un groupe qu’il unit et où il préside ; les moins considérables, les Boisrobert, les Sorel, les Cyrano, y sont même introduits à la faveur de ce qu’ils lui ont prêté, de ce qui surtout les recommande et les honore. Ces imitations, en un mot, ne sont le plus souvent pour nous que le résumé heureux de toute une famille d’esprits et de tout un passé comique dans un nouveau type original et supérieur, comme un enfant aimé du ciel qui, sous un air de jeunesse, exprime à la fois tous ses aïeux.

Chacune des pièces de Molière, à les suivre dans l’ordre de leur apparition, fournirait matière à un historique étendu et intéressant ; ce travail a déjà été fait, et trop bien, par d’autres, pour le reprendre ; ce serait presque toujours le copier[1]. Autour de l’École des Femmes, en 1662, et plus tard autour du Tartufe, il se livra des combats comme précédemment il s’en

  1. Voir MM. Auger et Taschereau.