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ALOISIUS  BERTRAND[1]


Il doit être démontré maintenant par assez d’exemples que le mouvement poétique de 1824-1828 n’a pas été un simple engouement de coterie, le complot de quatre ou cinq têtes, mais l’expression d’un sentiment précoce, rapide, aisément contagieux, qui sut vite rallier, autour des noms principaux, une grande quantité d’autres, secondaires, mais encore notables et distingués. Si la plupart de ces promesses restèrent en chemin, si les trop confiants essais n’aboutirent en général à rien de complet ni de supérieur, j’aime du moins à y constater, comme cachet, soit dans l’intention, soit dans le faire, quelque chose de non-médiocre, et qui même repousse toute idée de ce mol amoindrissant. La province fut bientôt informée du drapeau qui s’arborait à Paris, et, sur une infinité de points à la fois, l’élite de la jeunesse du lieu se hâta de répondre par plus d’un signal et par des accents qui n’étaient pas tous des échos. Il suffisait dans chaque ville de deux ou trois jeunes imaginations un peu vives pour donner l’éveil et sonner le tocsin littéraire. Au xvie siècle, les choses s’étaient ainsi passées lors de la révolution poétique proclamée par Ronsard et Du Bellay : le Mans, Angers, Poitiers, Dijon, avaient

  1. Ce morceau a été écrit pour servir d’introduction au volume de Bertrand, intitulé Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, qui s’est publié par les soins de M. Victor Pavie, alors imprimeur-libraire à Angers (1842).