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souffrait beaucoup de cet abaissement de nos armes ; il n’aimait guère plus voir en France les cocardes que la littérature d’outre-Rhin[1]. Sa conduite dans tout ce qui va suivre fut celle d’un homme honnête, modéré, qui cède, mais qui cède au sentiment, jamais au calcul.

Il avait, je l’ai dit, un grand fonds d’idées monarchiques, une horreur invincible de l’anarchie, un amour de l’ordre, de la stabilité presque à tout prix, et de quelque part qu’elle vînt. Le premier article de sa charte était dans Homère :

… …[Greek : eis choiranos estô,]
[Greek : eis basileus.] … …
Le pire des États, c’est l’État populaire.

Il disait volontiers comme ce sage satrape dans Hérodote : Puissent les ennemis des Perses user de la démocratie ! Il croyait cela vrai des grands États modernes, même des États anciens et de ces républiques grecques qui n’avaient acquis, selon lui, une grande gloire que dans les moments où elles avaient été gouvernées comme monarchiquement sous un seul chef,

    des conjectures. La Revue Rétrospective du 31 octobre 1835 a publié la dictée de Napoléon par laquelle il traçait à la commission du Sénat et au rapporteur le sens de leur examen et presque les termes mêmes du rapport. Les derniers mots de l’indication impérieuse sont : « Bien dévoiler la perfidie anglaise avant de faire un appel au peuple. – Cette fin doit être une philippique. » Malgré l’ordre précis, la philippique manque dans le rapport de M. de Fontanes, et la conclusion prend une toute autre couleur, plutôt pacifique : l’Empereur ne put donc être content. La Revue Rétrospective, qui fait elle-même cette remarque, n’en tient pas assez compte. Après tout, le rapporteur, dans le cas présent, ne manœuvra pas tout à fait comme le maître le voulait ; en obéissant, il éluda.

  1. Le trait est essentiel chez Fontanes : au temps même où il attaquait le plus vivement le Directoire dans le Mémorial, il a exprimé en toute occasion son peu de goût pour les armes des étrangers et pour leur politique : on pourrait citer particulièrement un article du 19 août 1797, intitulé : Quelques vérités au Directoire, à l’Empereur et aux Vénitiens. Par cette manière d’être Français en tout, il restait encore fidèle au Louis XIV.