Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
favoris quelques réflexions plutôt morales que philologiques, quelques essais de traduction fidèle : « J’ai travaillé ce matin, disait-il ; ces vers de Virgile, vous savez :

Et varios ponit fœtus autumnus, et alte
Milis in apricis coquitur vindemia saxis ;

« ces vers-là ne me plaisent pas dans Delille : les côtes vineuses, les grappes paresseuses ; voici qui est mieux, je crois :

Et des derniers soleils la chaleur affaiblie
Sur les coteaux voisins cuit la grappe amollie. »

Il cherchait par ces sons en i (cuit la grappe amollie) à rendre l’effet mûrissant des désinences en is du latin. Sa matinée s’était passée de la sorte sur cette douce note virgilienne, dans cet épicuréisme du goût. Ou bien, la serpe en main, soignant ses arbustes et ses fleurs, il avait peut-être redit, refait en vingt façons ces deux vers de sa Maison rustique :

L’enclos où la serpette arrondit le pommier,
Où la treille en grimpant rit aux yeux du fermier ;

et ce dernier vers enfin, avec ses r si bien redoublés et rapprochés, lui avait, à son gré, paru sourire.

Ou encore, dans ce verger baigné de la Seine, au bruit de la vague expirante, il avait exprimé amoureusement, comme d’un seul soupir, la muse de l’antique idylle,

Enflant près de l’Alphée une flûte docile ;

et ce doux souffle divinement trouvé lui avait empli l’âme et l’oreille presque tout un jour, comme tel vers du Lutrin à Boileau[1].
  1. On peut dire de ces vers, comme de tant de vers bien frappés de Boileau, ce que Fontanes a dit lui-même quelque part dans son Commentaire (imprimé) sur J.-B. Rousseau : « Il n’y a pas là ce qu’on « appelle proprement harmonie imitative ; mais il existe un rapport très-sensible entre le choix des expressions et le caractère de l’image. » On confond un peu tout cela maintenant.