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Et l’infatigable nacelle
Qui t’y promène jour et nuit.

Des deux pêcheurs de Théocrite
Ton sommeil t’offrit le trésor ;
Hélas ! désabusé trop vite,
Tu vois s’enfuir le songe d’or.

Ici, rêvant sur ma terrasse,
Je n’ai pas un sort plus heureux :
J’invoque la muse d’Horace,
La muse est rebelle à mes vœux.

Jouet de son humeur bizarre,
Je dois compatir à tes maux ;
Tiens, que ce faible don répare
Le prix qu’attendaient tes travaux.

La nuit vient : vers le toit champêtre
D’un front gai reprends ton chemin,
Dors content : tes filets peut-être
Sous leur poids fléchiront demain.

Demain peut-être, en cet asile,
Au chant de l’oiseau matinal,
Mon vers coulera plus facile
Que les flots purs de ce canal.

Ainsi, au moment où il dit que la muse d’Horace le fuit, il la ressaisit et la fixe dans l’ode la plus gracieuse. Il dit qu’il ne prend rien, et la manière dont il le dit devient à l’instant cette fine perle qu’il a l’air de ne plus chercher. De même, dans une autre petite ode exquise, lorsqu’au lieu de se plaindre, cette fois, de son rien-faire, il s’en console en le savourant :

Au bout de mon humble domaine,
Six tilleuls au front arrondi,
Dominant le cours de la Seine,
Balancent une ombre incertaine
Qui me cache aux feux du midi.